samedi 10 mars 2012

Le jour où je suis entrée au collège

cc Flickr par CG94 photos
Un matin de septembre, la trouille au ventre. Maman me donne mes vêtements: une jupe plissée avec des collants, un petit chemisier à collerette et mon cartable en cuir tout neuf. Mes lunettes vissées sur le nez je passe le portail du collège. J'ai un peu froid et une petite boule dans le ventre. A la fois heureuse de devenir grande et anxieuse. Direction le hall d'entrée pour découvrir ma classe. J'ai un nom de famille à la con, et des gamins se moquent déjà de moi en le lisant sur la liste de la 6ème 3. Je suis mal à l'aise. Je ne connais personne dans cette classe si ce n'est un abruti qui me dira quelques mois plus tard qu'il refuse de me faire la bise parce que mon beau-père est noir. Ça commence bien.

Dans la cours des grands

Cette journée aura été vraiment difficile. Quand tu passes de la primaire au collège c'est l'inconnu, c'est gigantesque, zéro repère, la jungle quoi. Surtout lorsque tu es une gamine plutôt naïve, très gentille, première de la classe et habillée par ta mère. Déjà, t'es mal barrée. Je crois que ça se voyait sur ma tête que j'étais une bonne victime potentielle. Tête à claque, tête au carré, tête de turc, tout ce que tu veux. Pourtant ça se passait bien les années précédentes. Toujours de bonnes notes, bons rapports avec mes camarades, des amis, des rires... J'avais sauté le CM1 donc j'avais dû couper court avec mes anciens camarades (et faire face à pas mal de jalousie) mais je m'étais adaptée. Puis il y avait J., mon meilleur ami et rival. Lui aussi portait des lunettes, et il se prendra pas mal de claques (au sens propre comme au figuré). Mais il tenait bon et ne se laissait pas faire. Il était fier d'être ce qu'il était.

Me voilà donc au collège, j'ai 10 ans (j'ai sauté une classe, remember?), j'ai peur et des prédateurs sanguinaires l'ont bien senti. Ils ont reniflé ma chaire tendre et vont bientôt me mordre à pleines dents. Une gamine me croise, une 5 ème, elle est mignonne, a un petit air arrogant et me toise. Elle me dit "Pfff t'as l'air trop conne avec tes vêtements de "p'tite fille" puis se barre. Plus tôt d'ailleurs avant le repas au réfectoire, des copains de sa bande me demanderont si je suis "homosexuelle". Je répondrai à l'affirmative, ne sachant pas de quoi il s'agit. Des rires, le doigt pointé vers moi... Une journée de merde.

Alors pour m'intégrer, j'ai rapidement commencé à écouter de la musique de merde (Dance Machine et cie), à fumer (erf erf), à faire des cassettes pour des "copains", à essayer de me changer dans les toilettes pour avoir l'air moins tache. Mais y'a rien à faire, j'avais un nom à la con et un visage "trop gentil". Pour ne rien gâcher, j'étais complexée. Pas grosse, pas moche mais je me voyais comme une pauvre fille, trop bonne en classe (ça a toujours été source de honte pour moi), laide et énorme. J'avais le sentiment de ne jamais être à la hauteur de ces minettes populaires. Ça fait un peu cliché série américaine: la petite nerd chambrée par les pom-pom girls. Et pourtant...

Tiens, prends ça!

Deux ou trois nanas ont pris un malin plaisir pendant plusieurs années à me mettre des tartes, à vouloir me frapper, à m'insulter, à inventer des chansons injurieuses sur moi, à inventer des fausses rumeurs. J'ai en tête notamment N. A. et S. C. qui auront été pendant une courte de durée mes meilleurs amies puis pires ennemies déclarées. J'étais incapable de répondre quoique ce soit. J'en parlais pas trop à ma famille... D'ailleurs, j'ai revu récemment des photos de moi à l'époque. La différence est frappante. J'ai le regard triste, vide, ailleurs. Mon sourire n'est plus épanoui, il est forcé. J'étais mal, j'ai détesté cette période, je me suis détestée. Il y a eu quelques bons moments tout de même, quand je jouais du violon, quand on se tapait des délires avec J., quand j'arrivais parfois à m'assumer.

Quelques années plus tard, j'ai croisé S. C. dans un bus. Elle avait quitté le collège en 4 ème. Elle m'a appelée  pour que je m’assois à côté d'elle et m'a demandé de lui pardonner. Elle m'a avoué avoir été très envieuse à cette période, qu'elle jalousait ma vie, mes facilités à l'école, ma candeur (ce sont ses mots). Elle regrettait de m'avoir frappée et injuriée pendant 3 ans. Elle faisait une thérapie et se sentait mieux dans sa tête. Elle expliquait son comportement par une maltraitance de la part de sa mère et la perte de son père. Elle me trouvait tellement "parfaite" que c'était insupportable pour elle. Elle était désolée et s'en voulait. Elle a pleuré, pas moi mais j'ai ressenti un profond soulagement. Wow, c'était juste les mots que j'aurais aimé entendre et voilà qu'ils venaient à moi des années plus tard.

Avec du recul, j'aurais aimé avoir du répondant, une estime de moi suffisante pour leur cracher à la gueule, à ces enflures. Car à cette période, j'ai parfois eu envie de les buter, j'ai eu aussi envie de mourir, juste pour que ça s'arrête. J'y ai pensé, de nombreuses fois mais je tenais trop à mes proches, notamment mes soeurs, mon petit frère. J'avais le sentiment d'être un alien dans ce monde agressif, sans pitié, futile. Personne à qui parler de mon amour pour les Beatles ou les Red Hot Chili Peppers, de cette attirance pour la poésie de Baudelaire et la subversion. Puis arriva le lycée. Et la libération. Pas tout de suite, la seconde était pas évidente. Mais par la suite je me suis libérée et j'ai commencé à vivre pleinement mon adolescence, en ayant conscience de mes défauts et en tentant d'apercevoir mes qualités. Apprendre à marcher la tête haute, ne plus craindre le regard des autres et voilà qu'on vous respecte. C'était simple en fin de compte, il me fallait ne plus avoir peur.

Le jour où je me suis sentie femme

cc flickr par dhammza
J'ai deux jours de retard. Un texto un matin me souhaitant "bonne fête" m'indiquait qu'il s'agissait de la journée de la femme (ce n'était en effet pas la sainte Nydiryn ce jour là). L'occasion pour moi de vous parler de ce jour où je me suis sentie femme, pleinement.

Mi-femme, mi enfant.

De nombreuses occasion dans la vie nous forment, mettent en lumière notre féminité et ce qui nous singularise. Premiers émois, premier enfant à qui on donne naissance ou qu'on nourrit de son sein, premier petit plat préparé pour sa moitié... J'ai cru être une "vrai femme" quand, à 18 ans j'ai emménagé avec celui qui aura été mon bourreau pendant dix ans ou lorsqu'on faisait l'amour. Or vivre avec un vampire ne fait pas de vous une femme, vous réduisant à l'état de chose, vous infantilisant quotidiennement. D'ailleurs, je crois qu'il est néfaste de ne se réaliser qu'à travers l'autre, même si celui-ci est bienveillant. Lorsque mon premier enfant est né, là encore j'ai cru qu'il s'agissait de ma plus grande expérience de femme. C'est, sans conteste, un passage de vie qui m'aura fait grandir et qui aura contribué à me rendre moins "fille" que femme. Mais ce n'était qu'une étape, tout comme la naissance de mon deuxième bébé.

Être soi.

Être une femme ce n'est pas se révéler dans le regard d'un homme ou être une mère. C'est bien plus que ça à mon sens. Je me suis sentie femme pleinement quand j'ai décidé de vivre seule, avec mes deux enfants. Quand j'ai décidé de m'assumer, de reprendre le travail et les études pour me construire un avenir. J'ai toujours eu l'impression d'être, tout en étant épouse et mère, une sorte d'adulescente, mi-enfant, mi-femme. Ni l'un ni l'autre ou les deux à la fois. A l'approche de la trentaine, cette prise d'indépendance aura été une révolution. J'ai pris les rennes de ma vie pour avancer, seule. Sans chercher à plaire, ni à combler un vide. Je tente de ne pas projeter mes faiblesses et mes craintes sur mes enfants en devenant une super-busy-mom qui remplit sa vie via ses mouflets. Se sentir femme ça passe par le regard qu'on porte sur soi. Il faut s'aimer, bordel! Il faut se plaire, se cajoler, bien s'entourer quitte à d'abord crever de solitude pour ensuite savoir l'apprécier.

Alors ce soir, pendant que mes gars seront chez leur père, eh bien je me ferai un resto et un ciné. Je me sens femme, je me sens en accord avec moi-même. Je reprend le boulot lundi, je vais bosser mon concours, je m'occuperai de mes enfants et je prendrai le temps de m'occuper de moi. Puis, quand je me sentirai suffisamment aimée par moi-même, peut être que je penserai à être aimée par un homme. Mais ça, c'est pour plus tard.