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Dans la cours des grands
Cette journée aura été vraiment difficile. Quand tu passes de la primaire au collège c'est l'inconnu, c'est gigantesque, zéro repère, la jungle quoi. Surtout lorsque tu es une gamine plutôt naïve, très gentille, première de la classe et habillée par ta mère. Déjà, t'es mal barrée. Je crois que ça se voyait sur ma tête que j'étais une bonne victime potentielle. Tête à claque, tête au carré, tête de turc, tout ce que tu veux. Pourtant ça se passait bien les années précédentes. Toujours de bonnes notes, bons rapports avec mes camarades, des amis, des rires... J'avais sauté le CM1 donc j'avais dû couper court avec mes anciens camarades (et faire face à pas mal de jalousie) mais je m'étais adaptée. Puis il y avait J., mon meilleur ami et rival. Lui aussi portait des lunettes, et il se prendra pas mal de claques (au sens propre comme au figuré). Mais il tenait bon et ne se laissait pas faire. Il était fier d'être ce qu'il était.
Me voilà donc au collège, j'ai 10 ans (j'ai sauté une classe, remember?), j'ai peur et des prédateurs sanguinaires l'ont bien senti. Ils ont reniflé ma chaire tendre et vont bientôt me mordre à pleines dents. Une gamine me croise, une 5 ème, elle est mignonne, a un petit air arrogant et me toise. Elle me dit "Pfff t'as l'air trop conne avec tes vêtements de "p'tite fille" puis se barre. Plus tôt d'ailleurs avant le repas au réfectoire, des copains de sa bande me demanderont si je suis "homosexuelle". Je répondrai à l'affirmative, ne sachant pas de quoi il s'agit. Des rires, le doigt pointé vers moi... Une journée de merde.
Alors pour m'intégrer, j'ai rapidement commencé à écouter de la musique de merde (Dance Machine et cie), à fumer (erf erf), à faire des cassettes pour des "copains", à essayer de me changer dans les toilettes pour avoir l'air moins tache. Mais y'a rien à faire, j'avais un nom à la con et un visage "trop gentil". Pour ne rien gâcher, j'étais complexée. Pas grosse, pas moche mais je me voyais comme une pauvre fille, trop bonne en classe (ça a toujours été source de honte pour moi), laide et énorme. J'avais le sentiment de ne jamais être à la hauteur de ces minettes populaires. Ça fait un peu cliché série américaine: la petite nerd chambrée par les pom-pom girls. Et pourtant...
Tiens, prends ça!
Deux ou trois nanas ont pris un malin plaisir pendant plusieurs années à me mettre des tartes, à vouloir me frapper, à m'insulter, à inventer des chansons injurieuses sur moi, à inventer des fausses rumeurs. J'ai en tête notamment N. A. et S. C. qui auront été pendant une courte de durée mes meilleurs amies puis pires ennemies déclarées. J'étais incapable de répondre quoique ce soit. J'en parlais pas trop à ma famille... D'ailleurs, j'ai revu récemment des photos de moi à l'époque. La différence est frappante. J'ai le regard triste, vide, ailleurs. Mon sourire n'est plus épanoui, il est forcé. J'étais mal, j'ai détesté cette période, je me suis détestée. Il y a eu quelques bons moments tout de même, quand je jouais du violon, quand on se tapait des délires avec J., quand j'arrivais parfois à m'assumer.
Quelques années plus tard, j'ai croisé S. C. dans un bus. Elle avait quitté le collège en 4 ème. Elle m'a appelée pour que je m’assois à côté d'elle et m'a demandé de lui pardonner. Elle m'a avoué avoir été très envieuse à cette période, qu'elle jalousait ma vie, mes facilités à l'école, ma candeur (ce sont ses mots). Elle regrettait de m'avoir frappée et injuriée pendant 3 ans. Elle faisait une thérapie et se sentait mieux dans sa tête. Elle expliquait son comportement par une maltraitance de la part de sa mère et la perte de son père. Elle me trouvait tellement "parfaite" que c'était insupportable pour elle. Elle était désolée et s'en voulait. Elle a pleuré, pas moi mais j'ai ressenti un profond soulagement. Wow, c'était juste les mots que j'aurais aimé entendre et voilà qu'ils venaient à moi des années plus tard.
Avec du recul, j'aurais aimé avoir du répondant, une estime de moi suffisante pour leur cracher à la gueule, à ces enflures. Car à cette période, j'ai parfois eu envie de les buter, j'ai eu aussi envie de mourir, juste pour que ça s'arrête. J'y ai pensé, de nombreuses fois mais je tenais trop à mes proches, notamment mes soeurs, mon petit frère. J'avais le sentiment d'être un alien dans ce monde agressif, sans pitié, futile. Personne à qui parler de mon amour pour les Beatles ou les Red Hot Chili Peppers, de cette attirance pour la poésie de Baudelaire et la subversion. Puis arriva le lycée. Et la libération. Pas tout de suite, la seconde était pas évidente. Mais par la suite je me suis libérée et j'ai commencé à vivre pleinement mon adolescence, en ayant conscience de mes défauts et en tentant d'apercevoir mes qualités. Apprendre à marcher la tête haute, ne plus craindre le regard des autres et voilà qu'on vous respecte. C'était simple en fin de compte, il me fallait ne plus avoir peur.